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Écrit par Administrateur
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07-10-2007 |
Par une triste journée de novembre, un couple habitant Paris descendait dans l’Isère pour aller se recueillir sur la tombe d’un parent.
Comme c’étaient les congés de la Toussaint, ils avaient bien évidemment emmené leur petite fille Aurore âgée de six ans.
Cette petite fille aux cheveux roux, d’un roux plein de cette lumière si particulière qui précède le lever du soleil, avait un don particulier, celui de communiquer avec les arbres. Jusque-là elle ne l’avait jamais confié à ses parents, pensant que, pour eux, il en était de même.
Désirant faire une halte, entre Mâcon et Lyon, ils s’arrêtèrent sur une aire de repos au bord de l’autoroute.
N’ayant pas envie de descendre, la petite resta seul dans la voiture.
Elle pensait trendrement à sa Mémé qu’elle aimait beaucoup, et qui était remontée au ciel à peine un mois au paravant.
Elle se posa alors la question : « Mais il a certainement fallu au moins deux anges, un sous chaque bras, pour la remonter là-haut car elle était un peu grosse », puis elle pensa : « Oh... le bon Dieu a dû envoyer un copain à son ange gardien, car je le voyais dans son dos, il n’était pas très gros, et sûrement pas assez fort pour la remonter lui tout seul là-haut ! »
Tout à coup, bien que complètement dans sa pensée, elle entendit coucou !... coucou !...
Elle connaissait bien la tonalité de ce « coucou » là, c’était celui de la voix du pommier.
Très rapidement son regard se porta sur un vieux pommier planté là, tout près de la barrière délimitant l’aire de repos. Il avait l’air très triste et malade.
La petite fille, touchée au plus profond d’elle-même, ne put s’empêcher d’aller vers lui.
Après avoir soigneusement fermé la porte de la voiture, elle s’approcha tout près de lui en se plaquant contre le grillage.
« Ho ! mon vieil ami le pommier, qu’es-tu venu faire si près de l’autoroute ? », lui demanda-t-elle tendrement.
« Ce n’est pas moi qui me suis déplacé » lui dit-il. « Ici, avant, règnait la paix. Mais un jour des hommes armés de machines infernales ont exterminé tous mes frères nés la même saison que moi.
Le dernier à subir cette horrible déchirure à la base de son tronc, fut mon ami le peuplier.
Vois-tu, il se trouvait juste là où est garée la voiture de tes parents.
Depuis son départ ma tristesse est grande, car je n’entends plus chanter le vent caresser ses feuilles argentées.
Aurore, approche-toi encore un peu de moi si tu le peux, je suis si vieux, ma voix s’efface peu à peu alors que le bruit sur cette route infernale ne cesse d’augmenter. Viens, écoute bien : ce matin, au lever du jour, l’ange Omaël, roi de la fertilité et de la fécondité, m’a averti de ton passage.
Aussi, avant de mourir, je compte sur ta promesse pour faire ce que je te demanderai. Cela est très important !
Demain matin, lorsque tu seras dans ton village natal de Corbelin, tu prendras le petit sentier qui passe entre l’église et la boulangerie.
Tu le descendras jusqu’au ruisseau qui le traverse en bas ; puis, sur ta droite, tu verras une prairie sur la colline qui fait face au clocher.
Passe sous le barbelé mais fais attention à ne pas te blesser.
Mais que devrai-je faire ensuite ? demanda la fillette impatiente.
Lorsque sonnera neuf heures tu chercheras le trou à dix mètres d’un tout jeune peuplier.
Face au soleil, tu enterreras cette pomme que je t’ai soigneusement gardée.
Va maintenant, attrappe-la fais vite, je vois tes parents qui reviennent près de la voiture.
Aurore ! Aurore ! que fais-tu là-bas ? Laisse cette pomme, elle n’est pas à toi, s’écria le père mécontent du geste de sa fille qui d’habitude était si sage.
Allez, laisse-là, s’écria-t-il d’une voix forte et déterminée.
« Non, non, lui cria le pommier, fais vite, saute, profite du vent qui va faire courber ma branche... »
D’un bond net et précis elle sauta.
Par je ne sais par quel miracle, la pomme se détacha de la branche pour tomber dans sa menotte.
Elle courut alors vers la voiture en la serrant contre son coeur.
Son père furieux lui dit : « çà alors, cela me surprend de toi, tu sais bien qu’il est interdit de voler ce qui ne nous appartient pas ! »
Tous les trois s’engouffrèrent dans la voiture et reprirent la route.
Il y eut bien un quart d’heure de silence avant qu’Aurore n’ouvrit la bouche.
D’une voix douce et précise elle dit à son père : « Tu sais, papa, je ne suis pas une menteuse, cette pomme est tombée toute seule dans ma main.
Toi tu étais loin, tu ne pouvais pas voir, il est normal que tu doutes de moi. Mais Dieu sait tout car il est en moi. C’est pourquoi quoi que tu penses à mon sujet, moi, je suis en paix . »
Ces paroles touchèrent profondément le coeur du père. « Comment une enfant de cet âge pouvait-elle avoir un tel raisonnement ? se disait-il intérieurement.
« Il est certain qu’elle n’a pas volé cette pomme », pensa-t-il tout ému.
Il regarda sa femme avec un sourire qui en disait long.
La petite Aurore, ayant compris par l’échange de ce sourire, que le message avait bien été reçu, ajouta : « Et puis tu sais, papa, si mes mains n’avaient pas été là pour la recueillir, elle se serait écrasée sur le goudron.
Quelle importance, lui répondit le père, puisque tu vas la manger maintenant. »
Elle hésita un instant puis trouva plus sage de ne rien dire : c’était un secret entre ce vieux pommier et elle, elle le lui avait promis.
Dès qu’ils furent arrivés dans leur maison de campagne, la maman prépara vite le dîner afin que tout le monde pût se coucher de bonne heure pour récupérer de la fatigue causée par ce long trajet.
Aurore se mit vite au lit, heureuse d’être seule et de pouvoir repenser tranquillement à ce que lui avait demandé le pommier.
Elle posa délicatement sa pomme sur sa table de nuit lorsque soudain ses parents entrèrent pour l’embrasser et lui souhaiter une bonne nuit.
Ils furent très surpris de voir sa pomme reposant sur le napperon tout blanc.
« Mais tu ne l’as pas mangée lui demanda sa maman ?
Non répondit-elle, j’ai fait un voeu et toute promesse doit être respectée.
Mais sans indiscrétion, à qui as-tu fait cette promesse ?
Aux vieux pommier qui me l’a donnée, ajouta-t-elle tout simplement.
D’ailleurs demain matin, je vous préviens qu’à neuf heures, je dois remettre cette pomme à qui de droit. Alors ne vous inquiétez pas, je n’en aurai pas pour longtemps. »
Devant cette détermination ses parents, l’embrassèrent en se regardant l’un et l’autre un peu surpris.
Le soir, un peu inquiet tout de même, le mari dit à sa femme : « Ne te fais pas de souci. Demain matin, je la suivrai discrètement. »
A huit heures trente, en effet, après le petit déjeuner, Aurore prit avec amour sa pomme et dit à ses parents : « dans une demi-heure, je vous le promets, je serai de retour. »
Son père la suivit et à l’entrée du pré, il se cacha derrière un gros chêne.
La petite arpenta la colline, monta presque jusqu’à l’orée du bois, puis se retournant, regarda le clocher.
On dirait qu’elle cherche quelque chose maintenant remarqua le père.
En effet, elle vit le petit peuplier, le caressa du bout de ses doigts puis fit dix grands pas.
Elle découvrit alors une cavité qui devait être un ancien trou de taupe. Lorsque neuf heures sonnèrent au clocher, elle y glissa délicatement sa pomme en la recouvrant de terre puis se mit à genoux pour prier l’ange de la fécondité.
« Omaël, je t’en supplie, écoute ma prière. Puisses-tu par ta lumière féconder cette pomme afin que mon vieux pommier qui est en train de mourir là-bas puisse revenir ici grâce aux petites graines contenues dans son dernier fruit.
Ta prière est exaucée, » lui répondit le peuplier situé derrière elle.
Elle courut vers lui et lui demanda : « Comment le sais-tu ?
J’ai senti de la chaleur dans mes racines, et c’est toujours ainsi que cela se passe lorsque une graine est fécondée par l’amour de l’ange Omaël.
Sais-tu que je suis également issu d’une graine de ce peuplier, le meilleur ami de ton vieux pommier ?
C’est un oiseau migrateur qui m’a posé en ce lieu. L’ange Ahassior m’a même dit que c’était lui qui en assurait la protection.
Il a même ajouté tous ceux qui s’aiment vraiment, jamais ne se quittent et plus leur amour grandit plus les lieux où ils passent en profitent.
C’est pourquoi je vais te confier un secret : si tu sais rester pure dans ton corps, ton coeur, et ton esprit, alors reviens voir ton ami le pommier lorsque tu auras seiz ans, le dix Mai à dix heures. »
La petite fille compta rapidement et s’exclama : « Mais est-ce que tu te rends compte, il va falloir que j’attende dix ans ?
Sans même répondre à sa question, le peuplier reprit : « Souviens-toi, dans dix ans, le dix Mai à dix heures ! Va vite maintenant, tes parents vont s’inquiéter. »
Elle se leva promptement pour rejoindre le chemin.
L’ayant vue, son père, sans bruit rentra à la maison avant elle.
Aurore grandit en amour et sagesse. A dix ans, elle confia à ses parents qu’elle n’avait qu’un désir, celui de servir Dieu.
Elle voulait partir plus tard soigner les lépreux, disait-elle avec une douceur et une détermination qui ne laissaient planer aucun doute.
Elle était brillante à l’école et ses professeurs l’aimaient beaucoup car ses réflexions étaient riches et profondes.
« Je ne veux faire partie d’aucune religion sinon suivre celle de mon coeur disait-elle.
Et mon coeur est le temple de celui qui l’habite.
Il n’y a que le propriétaire peu scrupuleux qui ne s’inquiète pas de savoir si son locataire est sérieux.
Mon locataire à moi, c’est Dieu.
Pourquoi irais-je le chercher à l’extérieur de moi ?
Celui qui le cherche à l’extérieur prouve qu’il ne le vit pas encore à l’intérieur. »
Devant ces propos francs et directs, ceux qui voulaient lui inculquer une doctrine se trouvaient complètement déconcertés.
« Lorsque plus aucun homme sur cette terre ne cherchera Dieu, mais le vivra, alors la paix règnera », disait-elle.
Vous comprenez bien qu’une enfant de dix ans prononçant de telles paroles laissait percevoir la richesse de l’amour qu’elle avait pour Dieu.
Afin de ne point oublier sa promesse tous les ans, le dix Mai, à dix heures, elle allait prier au pied de son pommier.
Cela ne fut pas toujours facile car elle devait s’absenter de son école.
Mais au vu de sa grande sagesse et de sa grande discipline, jamais un professeur ni ses parents ne le lui refusèrent.
Son père avait bien deviné en observant ses gestes lorsqu’elle enterra sa pomme, qu’elle accomplissait quelque chose de sacré. Loin de se moquer d’elle, il se gardait bien de lui poser des questions ne voulant pas la pousser à dévoiler son secret.
D’ailleurs il savait bien d’avance qu’avec elle, cela serait vaine.
Quand elle eut sept ans, puis quand elle eut douze ans, ses parents pratiquants lui proposèrent de faire sa communion, mais à chaque fois elle leur fit cette réponse : « Celle qui non seulement sait, mais vit le temple du Dieu vivant et l’Agneau qui l’habite a-t-elle besoin de simuler une union alors qu’elle vit cette union ? »
A chaque fois les parents, par la force qui émanait de ces paroles comprenaient que la foi de leur petite Aurore dépassait la leur et ils en remerciaient Dieu chaque jour.
Ses seize ans arrivèrent. Elle demanda à sa mère si elle acceptait de lui acheter une belle robe blanche. Lorsque prise au dépourvu elle lui demanda pourquoi, la jeune fille répondit simplement 6 et 1 7, 6 et 1 7, 6 et 1 7.
Trouvant cela étrange, sa mère lui demanda ce que cela signifiait.
« Tu sais, maman, le chiffre sept est relié à la spiritualité et le dix à l’union. Le un représente l’homme et le zéro la femme.
D’après cette déduction, j’ai décidé de me marier.
Mais avec qui ? Demanda sa mère interloquée puisqu’elle savait très bien qu’elle ne fréquentait aucun garçon.
Mais avec Dieu, évidemment répondit-elle avec un large sourire qui se termina en un grand éclat de rire.
Tu vas rentrer dans les ordres ? » lui demanda alors sa mère un peu intriguée.
La regardant droit dans les yeux sans cligner d’un cil, elle lui répondit ceci : « l’ordre qui m’appartient sache le bien est celui qui règne dans mon coeur et mon esprit. Si mon esprit est entièrement voué à Dieu, comment veux-tu que dans mon coeur règne le désordre ? »
Il n’y avait rien à ajouter pensa sa mère stupéfaite d’une telle réponse.
« Et quand te maries-tu, ma chérie ?
Le dix Mai à dix heures, répondit-elle avec précision.
Pourrons-nous assister à la cérémonie, lui demanda-t-elle alors ?
Non, maman. Ceci se passe entre le ciel et moi.
Mais tu sais que, pour un mariage, il faut deux témoins !
Ne t’inquiète pas, ils seront là » repondit-elle en pensant à ses amis le pommier et le peuplier.
Le matin du dix Mai, elle se leva de bonne heure, ses parents également. « Veux-tu que l’on t’accompagne en voiture ? lui demandèrent-ils.
Je vous remercie, leur dit-elle mais je ne vais pas loin d’ici : je serai de retour vers midi. »
Belle comme un lys elle partit en ayant soin d’emporter un petit coussin pour ne pas salir la belle robe blanche que sa mère lui avait confectionnée avec tant d’amour.
Prenant la direction du petit sentier, son père comprit de suite où elle se rendait.
Regardant sa femme tendrement il lui dit : « Nous, nous allons rester ici et prier pour elle. »
Dix heures sonnèrent au clocher. « Pour une fois, nous manquerons l’office, pensèrent-ils tous deux. »
Mais pour la première fois, une petite voix interieure leur répondit la même phrase : « Qui est l’officiant, celui qui officie, n’est-ce pas ? Devenez les officiants de vos édifices ! »
Ils n’en revenaient pas. Ils se regardèrent, éclatèrent de rire et se serrèrent tendrement dans les bras l’un de l’autre.
La petite voix intérieure venait de les souder, de les renforcer dans leur foi.
Ce qui se passa pour Aurore, jamais on ne le sut. Mais, par contre, ce qui se vit, c’est que depuis ce jour-là son visage fut transfiguré. Il était comme un soleil qui se lève radieux et immaculé.
« O ma chérie, comme tu es belle ! s’exclamèrent ses parents en la serrant très fort dans leurs bras et en ne pouvant empêcher de laisser couler de leurs yeux des larmes de joie.
Mais que s’est-il donc passé pour que ton corps émane toute cette beauté ?
D’une voix pure et cristalline, Aurore leur répondit :
Celui qui aime vraiment son Père doit accomplir ce qu’il lui a promis. La sagesse acquise par une promesse tenue lui permet alors de percevoir et de vivre l’Amour de la Mère.
Le miracle n’est pas de percevoir Marie dans un pommier, mais celui de recevoir l’Amour de la mère en récompense de notre fidélité à celui auquel elle est attachée. »
Si vous passez dans cette région de l’Isère, ne cherchez donc pas le pommier, car vous ne verrez rien à l’intérieur de lui. Par contre, gardez la pomme à l’intérieur de vous et comme la lumière de l’aurore, vous comprendrez que le plus grand des miracles est celui de réapprendre à aimer. |
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"Entre ce que je pense, ce que je veux dire, ce que je crois dire, ce que je dis, ce que vous avez envie d'entendre, ce que vous croyez entendre, ce que vous entendez, ce que vous avez envie de comprendre, ce que vous interprétez et ce que vous comprenez,... il y a dix possibilités qu'on ait des difficultés à communiquer... Mais essayons quand-même ! " (Bernard Werber, "Le Père de nos pères") |
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