C'est beau la vie...
Écrit par Administrateur   
08-05-2007

Le jeu du contentement

Christiane Frey nous fait cadeau d'un texte riche et dans l'esprit de notre site. Un essai qu'elle a rédigé dans le cadre de son cursus menant à un Masters en psychologie. Elle y explique que la manière de voir les choses va déterminer notre flexibilité par rapport à tout événement qui va se présenter à nous. Une réflexion qui vient nourrir la devise de planet positive et de 144000.fr : "Le monde est tel que tu le regardes".

"Tout a commencé avec « Pollyanna ou le Jeu du contentement ». Je devais avoir une douzaine d’années, lorsque ma tante m’offrit ce livre d’Eleanor H. Porter . La petite Pollyanna, âgée de onze ans, fille de missionnaire, connaît une terrible déception quand le «baril du missionnaire», colis envoyé par quelques âmes charitables de la paroisse métropolitaine, lui apporte une paire de béquilles au lieu de la poupée qu’elle avait demandée. Son père la console et lui explique un nouveau jeu qui consiste à «trouver quelque chose dont on puisse se réjouir dans n’importe quelle circonstance» : « Pense à la chance que tu as de ne pas avoir besoin de ces béquilles! ». La petite fille retient le conseil et joue, et va jouer, au Jeu du contentement tout au long des péripéties de sa vie. Elle le transmet autour d’elle et essaie d’aider ainsi son entourage à affronter les difficultés avec plus d’optimisme.

Il semble évident, bien que je n’aie jamais eu l’occasion de lui en demander confirmation, que m’a tante ne pas donné à lire ce livre innocemment. Je pense que son intention était de me donner un enseignement indirect, une sorte de « mode d’emploi » pour la vie, et que cette idée était liée au fait que j’aie un handicap moteur. Elle avait vu juste.

C’est ainsi qu’arrivée à la fin du roman, ayant été si enthousiasmée de tous les changements positifs qu’avait entraîné ce Jeu du contentement, même avec des gens terriblement acariâtres comme ceux qui étaient décrits dans ce livre, je décidai sur le champ, la dernière page tournée, de jouer moi aussi, à ce jeu. Seulement voilà, ce n’était pas si simple. En effet, il ne suffit pas de trouver le versant positif du négatif, encore faut-il que cela soit pertinent avec nos propres croyances, avec notre construction perceptive du monde et de ce qui nous arrive, car il est bien difficile de se réjouir de tout en n’importe quelle circonstance. Cela demande une réorganisation cognitive complète de notre point de vue. Au début, cela m’a demandé beaucoup d’efforts (et d’erreurs), mais je crois que l’entraînement quotidien à ce jeu m’a permis de développer une imagination créative sans pareille et aujourd’hui, un bonne trentaine d’années d’exercices plus tard, c’est devenu un réflexe plus spontané, plus automatique. On définit la créativité comme la capacité à avoir une pensée divergente, c’est-à-dire la capacité de trouver plusieurs façons d’envisager une situation ou plusieurs solutions à un problème. En face des difficultés, on ne sera pas pris au dépourvu et on trouvera diverses solutions. Un enfant qui a de la créativité est un enfant qui, grâce à la pensée divergente, pourra faire face aux petits imprévus de la vie. Pour lui, les choses peuvent être faites autrement si la manière habituelle ne fonctionne pas. Il fera preuve d’imagination dans sa façon d’aborder les situations (Ferland, 2001). C’est donc aussi cette pensée divergente que le Jeu du contentement m’a « appris à apprendre »(Zarifian, 2002).

Cela ne veut pas dire que l’on n’est plus contrarié à propos de rien, mais que cette contrariété dure bien moins longtemps que s’il n’y avait pas ce réaménagement de perspective, quasi immédiat, après chaque événement qui semble négatif au premier abord. D’autre part, si ce « remodelage » constant de la perception des évènements se fait de plus en plus facilement, il touche aussi des domaines de plus en plus variés et reste, partant, un apprentissage constant. Le jeu du contentement fonctionne parce que c’est un jeu et que comme tel, il suggère un certain esprit compétitif où l’on se lance un défi à soi même pour trouver le bon côté des choses.

Je suis persuadée que toute chose, tout événement à un bon côté, un côté positif, qu’il convient de « dé-couvrir ». Facile à dire? Et pourtant... on peut entendre tous les jours : «Cela aurait pu être pire», «Compte tes bienfaits!», «Tant qu’on a la santé!», « Il vaut mieux entendre cela que d’être sourd ! ». Toutes ces expressions que nous utilisons souvent n’ont-elles pas la même signification? N’est-ce pas là une vraie sagesse qui nous dit de chercher le bon côté des choses afin de mieux faire face aux difficultés. Bien sûr, certains penseront que tout cela est bien gentil et « simplet », mais que la vie n’est pas un roman. Un autre exemple : «Quelle corvée de ramasser toutes ces feuilles à l’automne, les arbres ne sont même pas dans mon jardin!», à quoi on va pouvoir se répondre : «Je suis si contente de pouvoir admirer ces beaux arbres tous les jours!».
Si nos arguments reposent sur des bases solides, il devrait être possible d’enseigner ce jeu aux personnes qui nous entourent. Malheureusement, je n’ai eu que peu de succès, ou peut-être que l’effet n’est pas instantané, et que l’idée de « jouer à ce jeu » demande une longue maturation jusqu’à percer à travers les vieilles habitudes (de réactions souvent négatives) ancrées en nous. Lorsqu’on est enfant, il est certainement vrai que c’est plus facile d’imaginer un tel changement radical de comportement, et que cet apprentissage de « rendre positif » des évènements négatifs finit par faire partie du développement intrinsèque de l’enfant. Mais les individus, comme les organisations d’ailleurs, offrent souvent une résistance globale à tout changement (Enriquez, 2000) qui risquerait d’affecter leurs petites habitudes bien confortables. Changer demande du courage, de l’audace, et surtout de la persévérance dans sa volonté de changement. Bref, c’est un « travail » parfois de longue haleine et demandant des efforts conséquents. De plus, bien jouer au Jeu du contentement, surtout au début, demande une surveillance permanente de nos pensées, une prise de conscience hic et nunc de nos réflexes de jugement par rapport à ce nous vivons à chaque instant, dans nos relations aux autres et au monde.

Si l’on se donne la peine d’analyser cette compétence (si on peut l’appeler comme telle) de pouvoir voir (et trouver) le bon côté des choses, on se rend compte que cela va bien plus loin qu’il n’y paraît. De nos jours, le marché du travail demande à chacun de se définir selon ses compétences personnelles, et non plus par rapport à son origine sociale ou à sa lignée (Mendel, 2002). C’est pourquoi il me semble que la façon de voir son activité professionnelle comme une source incessante de nouveaux apprentissages me semble primordial. D’autre part, l’autorité n’est plus ce quelle était jadis dans les entreprises, c’est-à-dire plutôt arbitraire, comme à l’époque du taylorisme, ou en tous cas ne se discutant pas, le nouveau style de management a changé radicalement : ce n’est plus le savoir-faire qui est demandé principalement à l’individu, mais le savoir-être (Mendel, 2002). Ainsi, il nous est demandé de savoir se prendre en charge bien davantage, d’apprendre à assumer la responsabilité de nos actes et de prendre des initiatives à la fois intelligentes et créatives en corrélation avec le but fixé par l’entreprise.

La manière de voir les choses va déterminer notre flexibilité par rapport à tout événement qui va se présenter à nous. On verra alors si la personne est capable ou non de faire face avec intelligence à ces évènements et si elle va savoir en tirer le meilleur parti possible. Par exemple, j’ai travaillé à un poste qui me satisfaisait et que j’aimais, mais l’entreprise qui m’employait a trouvé plus opportun de m’en attribuer un autre. J’y ai vu là, non un désagrément et la contrariété de quitter une activité qui me plaisait, mais une occasion d’apprendre de nouvelles choses, d’avoir un autre point de vue sur les activités de l’entreprise, l’occasion, aussi, de pouvoir montrer d’autres facettes de mes compétences, ainsi que la capacité à m’intégrer à un nouvel environnement. Le fait de voir le bon côté des choses m’évita certainement de penser que l’on ne m’avait déplacée que parce que je n’était pas assez bonne là où j’étais. Après tout, plus une personne apprend à confronter de nouvelles situations avec succès, plus elle sera à même de développer ses capacités (Zarifian, 2002).

C’est face à un événement singulier, et/ou imprévu, lorsqu’on est confronté à une situation particulière, que la compétence pourra être remarquée : elle ne se manifeste que dans le vécu même d’une situation (Zarifian, 2002). Le fait de pouvoir trouver le versant positif d’un événement a priori négatif, permet de prendre des initiatives, parce qu’on aura de celui-ci une vision plus large, ce qui signifie alors inventer, créer, imaginer une réponse nouvelle, même originale et sortant des « sentiers battus », qui sera cependant, bien sûr, adaptée à la circonstance. Mais il existe cependant un certain paradoxe : comme nous l’explique E. Enriquez (2000) : il existe dans les organisations, une certaine peur de la pensée dans ses aspects inventifs, parce qu’elle peut parfois aller à l’encontre des modes de pensées dominants. De ce fait, cette créativité tant réclamée est bien souvent bridée. C’est pourquoi il ne s’agit pas d’appliquer ce Jeu du contentement littéralement et sans discernement, mais de savoir mobiliser cette compétence à bon escient, en fonction de la situation.

La vie d’un individu comporte quotidiennement une foule de micro-crises, en ce sens que tout ne vas pas toujours comme on le voudrait. Des choses nous arrivent que l’on n’avait pas prévues. Peut-être que nous aurions pu les prévoir, mais lorsque l’événement se présente, il faut bien faire avec lui. Il y a aussi les choses qui nous sont imposées par l’environnement dans lequel nous vivons, ou par notre naissance (comme la couleur de la peau ou un handicap) et que nous devons gérer, afin de « survivre » le mieux possible. Nous devons donc avoir une profonde conscience que nous pouvons changer certaines choses, manœuvrer au mieux entre les évènements négatifs, savoir aussi que certaines choses ne peuvent pas être changées, car leur changement n’est pas en notre pouvoir. La sagesse est de savoir faire la différence entre ces deux états de faits.
Cela n’empêche que chaque événement que nous considérons comme négatif n’est négatif que parce que nous le considérons comme tel. Un événement en soi n’est ni positif ni négatif, il est neutre, il « est » : c’est notre regard sur lui, c’est notre perception qui va lui donner une caractère positif ou négatif. De plus, toute situation que nous vivons, agréable ou pas, peut être utilisée comme un enseignement. C’est dire que la vie nous apporte à chaque instant le moyen de nous élever, de faire montre de créativité, de nous enrichir. Mais pour qu’une situation ou un événement devienne source de développement personnel, il faudra lui conférer consciemment ce pouvoir, c’est-à-dire que nous devons être profondément persuadé que chaque seconde de notre vie peut être instructive. C’est ici que la faculté (ou compétence) de pouvoir retourner la situation en un événement positif et évolutif intervient. Ce sera dans le regard que nous lui portons que cet événement pourra avoir un effet bénéfique sur nous. Cela demande une transformation complète de notre façon de penser et de voir les choses, d’envisager la vie et ses crises sous un nouvel angle. C’est une reconstruction de la réalité qui demande une apprentissage et une attention permanents. C’est là qu’intervient, pour moi, cette compétence particulière de savoir trouver le « bon côté des choses ». Tant qu’on ne verra que le côté destructif et paralysant d’un événement, on n’avancera pas. Notre pensée sera bloquée sur un seul point de vue, celui que l’on a toujours eu jusqu’à présent. Seulement voilà, certaines choses qui nous arrivent ne cadrent pas du tout à ce que l’on connaissait déjà. On peut rester sur l’idée que cet événement est « contre-productif », qu’il bloque notre progression et baisser les bras. Ou alors on peut retourner notre manière de le concevoir et y trouver un moyen de passer à un autre niveau, à une autre vision du monde plus large et plus constructive.

Evidemment, dans l’optique que j’essaie d’expliquer, je fais l’impasse sur les signes avant-coureurs et leur prise en compte dans la gestion de la situation évènementielle. Ce n’est qu’une façon immédiate et spontanée de tirer profit des petits dysfonctionnements quotidiens que nous pouvons trouver sur notre chemin. Seulement, il y a parfois des crises permanentes, si on peut les appeler comme cela, comme lorsque nous sommes nés avec une déficience qui nous handicape sérieusement ou lorsqu’un accident de la route nous projette dans un autre monde, différent de celui de « tout le monde ». Dans ce cas, la façon de vivre le handicap, quel qu’il soit, est comme une gestion de crise permanente : la seule différence est qu’il n’y a pas de « prévisibilité », parce que la crise est là tout le temps, et qu’il faut la vivre, si possible, positivement. Mais ceci est un exemple extrême car, comme je le mentionnais plus haut, nous avons des grains de sables qui s’insèrent dans la bonne marche de nos projets tout au long d’une journée, dont il faut savoir prendre son parti. Et le parti le meilleur est d’en tirer quelque chose de positif qui va nous permettre de passer à un niveau supérieur de compréhension de la vie.

Il ne s’agit bien sûr pas de devenir fataliste : c’est tout le contraire, puisque à travers la capacité à trouver le côté positif des choses qui nous adviennent, cela nous force à changer notre point de vue et d’imaginer d’autres solutions, d’autres explications que celles, conventionnelles, qui nous viennent à l’esprit, mais qui ne nous apportent rien. Christophe Roux-Dufort ( (2000) parle finalement de la même chose, lorsqu’il suggère qu’une crise permet aux dirigeants des entreprises la recherche de nouvelles alternatives, de nouvelles références, de créer de nouvelles « matrices de pensées ». C’est une occasion exceptionnelle de « transformer ses façons de penser » et de dépasser les limites imposées par les valeurs ayant fait foi jusqu’alors. Evidemment, il n’est pas simplement question, dans ce cas, de trouver le côté positif des choses, mais il s’agit de la recherche d’un apprentissage à travers les évènements. Cela ressort du même processus créatif de réorganisation de pensée pratiqué dans le Jeu du contentement, et demande de passer au-delà des solutions familières et routinières, pour envisager un développement de l’entreprise dans une nouvelle perspective.

Si on ne m’a jamais fait expressément la remarque que j’avais une compétence spéciale à ne voir en toute chose que son bon côté, cette particularité semble être ressortie autrement, en particulier dans le fait que j’ai toujours étonné les gens par mon sourire à toute épreuve (cela ressort systématiquement, du reste, dans mes certificats de travail) et d’entendre à longueur de temps les gens me dire : « quel courage vous avez ! » Non, non, ce n’est pas du courage, mais simplement une façon particulière de voir la vie, de donner à la vie des couleurs chaleureuses plutôt que maussades. Après tout, il y a toujours un côté pile et un côté face, un versant négatif et un versant positif en toute chose, il y a le jour et la nuit. Mais peut-être est-ce là que réside le courage : celui de faire le choix de vouloir faire l’effort de voir le côté positif, « de dépasser les limites imposées par les manières de penser » (Roux-Dufort, 2000), plutôt négatives, de la plupart des gens, pour en apprendre plus et aller de l’avant avec une certaine sérénité intérieure.

Le chemin qui mène à un point de vue différent sur notre vie est parfois ardu et semé d’erreurs de perspective. Mais si on s’y attèle sérieusement, et surtout si on prend cela comme un jeu, la route de notre vie nous paraîtra pleine d’intérêts et, bientôt, on en découvrira des richesses insoupçonnées. « La vie est belle » dit le film de (et avec) Roberto Benigni, faisons comme il nous l’a suggéré dans cette fable extra-ordinaire : changeons de perspective et tout peut devenir différent, même le pire : il suffit peut-être d’un peu d’imagination."

Christiane Frey
Psychologue / Extrait du site http://www.planetpositive.ch

Références :

Enriquez, E. (2000). L’organisation en analyse. Paris : Presses Universitaires de France
Ferland, F. (2001). Au-delà de la déficience physique ou intellectuelle : Un enfant à découvrir. Montréal : Editions de l’Hôpital Sainte-Justine
Mendel, G. (2002). Une histoire de l'autorité. Permanences et variations. Paris : Editions La Découverte & Syros
Roux-Dufort, C. (2000). La gestion de crise : un enjeu stratégique pour les organisations . Paris, Bruxelles : De Boeck & Larcier s. a. Département De Boeck Université
Zarifian, P. (2002). Objectif compétence. Pour une nouvelle logique. Paris : Editions Liaisons