Une feuille du Ciel...
Écrit par Administrateur   
20-01-2008

Tout en haut du ciel, dans l'air le plus épuré, un ange s'envola du jardin du paradis avec une fleur. En y imprimant un baiser, il fit tomber une feuille. Elle arriva sur la terre, au milieu d'un bois. Aussitôt elle prit racine et poussa au milieu des autres plantes.

Celles-ci ne voulurent pas la reconnaître pour une des leurs.

"Quelle singulière pousse !" disaient-elles.

Les chardons et les orties étaient les premiers à se moquer d'elle. "D'où cela vient-il ? C'est quelque graine potagère", disaient les chardons avec dédain. "A-t-on jamais vu pousser si vite ; est-ce convenable, et croit-elle que nous sommes ici pour la soutenir quand elle fléchira ?"

Vint l'hiver, la neige couvrit le sol...

La plante céleste communiqua à la neige un éclat merveilleux, comme si un rayon de soleil l'eût illuminée par dessous.

Au printemps, elle porta une fleur comme on n'en avait jamais vu d'aussi belle.

Le professeur de botanique le plus renommé du pays en fut averti.

Il accouru muni de son diplôme qui attestait son vaste savoir.

Il considéra la plante, l'analysa, goûta de ses feuilles.

Elle ne ressemblait à rien de ce qu'il avait vu. Il ne trouvait aucun genre, aucune famille où la classer.

- "C'est quelque métis, s'écria-t-il enfin, c'est un monstre ; cela ne rentre dans aucun système."

- "Cela ne rentre dans aucun système !" répétèrent chardons et orties.

Les grands et gros arbres virent et entendirent ce qui se passait ; ils ne dirent rien ni en bien ni en mal, ce qui est le plus sage quand on est bête.

Arriva dans le bois une pauvre petite fille, l'innocence même ; son coeur était pur, son intelligence grande par la foi. Elle ne possédait au monde qu'une vieille Bible par laquelle Dieu semblait lui parler. Elle y avait appris combien les hommes sont méchants ; mais elle savait aussi que, lorsqu'ils nous font souffrir l'injustice, lorsqu'ils nous méconnaissent et se moquent de nous, il faut nous rappeler l'exemple du meilleur et du plus pur des enfants de Dieu, qu'ils ont attaché à la croix et dire avec lui : "Mon père, pardonnez-leur, ils ne savent pas ce qu'ils font"...

La jeune fille s'arrêta devant la plante miraculeuse dont la fleur embaumait l'air d'un parfum exquis, et qui brillait au soleil comme un bouquet de feu d'artifice. Quand le vent agitait ses feuilles, on entendait résonner de célestes mélodies. L'enfant restait en extase devant cette merveille. Elle se pencha sur la plante pour l'admirer de plus près et en respirer le parfum. Elle sentait son coeur fortifié, et son esprit fut éclairé par la divine sagesse. Volontiers elle eût cueilli la fleur ; mais elle songea que ce serait mal et que la fleur se flétrirait. Elle ne prit qu'une seule et petite feuille verte qu'elle plaça dans sa Bible, où elle resta fraîche et du plus beau vert...

Quelques semaines plus tard, la Bible fut mise avec la feuille sous la tête de la petite fille, dans son cercueil. Elle y reposait paisiblement, et sur son visage doux et grave se reflétait le bonheur d'être délivrée de la poussière terrestre et d'être appelée auprès de son créateur.

Pendant ce temps, la plante grandissait, fleurissait. Les oiseaux de passage s'inclinaient avec respect devant elle.

- "Voilà bien ces étrangers ! grognaient les chardons et les ronces.

Savent-ils pourquoi ils prodiguent ainsi leurs hommages ? Ce n'est pas nous qui nous conduirons aussi sottement".

Et les vilaines limaces des bois crachaient devant la plante tombée du ciel.

Un porcher, qui faisait provision de broussailles pour allumer son feu, arracha ronces, chardons, orties et aussi la belle plante avec toutes ses racines.

- "Tout cela, se dit-il, n'est bon qu'à faire cuire mes aliments"...

Le roi du pays souffrait depuis longtemps d'une noire mélancolie que rien ne pouvait dissiper. Pour se distraire, il se mit à s'occuper des affaires de son peuple ; il se fit lire les bons auteurs, et ensuite les écrivains légers et frivoles. Rien n'y fit. On s'adressa alors à l'homme le plus sage de l'univers. Il répondit qu'il y avait un moyen de guérir le roi, c'était de lui faire prendre une feuille d'une fleur céleste qui se trouvait dans un bois de son royaume. Il en donnait la description. On reconnut la plante dont la curiosité s'était un instant émue.

- "Ma foi ! je l'ai arrachée, se dit le porcher, et il y a longtemps qu'il n'en reste plus qu'un peu de cendres".

Voilà pourtant ce que fait l'ignorance !...

Le porcher était honteux de lui-même et se fût bien gardé de révéler son méfait. Après tout, il était bien bon de s'en vouloir. Les savants s'étaient-ils montrés plus avisés que lui ?

La plante avait disparu. Il n'y en avait plus qu'une seule feuille dans le tombeau de l'enfant. Mais personne ne le savait.

Le roi vint lui-même dans le bois pour s'assurer par ses yeux de la disparition de la plante.

- "C'était donc là qu'elle se trouvait, dit-il ; ce sera dorénavant un lieu saint". Il fit entourer la place par une grille d'or et y fit poser des sentinelles pour la garder.

Le fameux professeur de botanique écrivit une longue dissertation bourrée de science, sur les qualités de la plante divine ; il démontra tout ce qu'on avait perdu en la perdant. Le roi couvrit d'or chaque page de l'oeuvre, et c'est cet âne qui gagna le plus à l'affaire.

Le roi garda son incurable chagrin, et les pauvres sentinelles s'ennuyaient beaucoup dans le bois.